Les Trois Poils De La Barbe D’or Du Diable
Kement-man oa d’ann amzer
Ma ho devoa dennt ar ier.
Ceci se passait du temps
Où les poules avaient des dents.
Il se nommait Malo et était jardinier à la cour d’un roi. Mais, comme il était déjà âgé, il ne travaillait plus guère et avait la surveillance des autres jardiniers de la cour.
Le roi, qui aimait à causer avec lui, quand il venait se promener dans le jardin, lui dit un jour :
— Ta femme est donc enceinte encore, Malo ?
— Oui, sire, et je serai bientôt père pour la sixième fois, car, comme vous le savez, j’ai déjà cinq enfants. Mais, ce qui m’embarrasse le plus, c’est de savoir où trouver un parrain pour le sixième.
— Eh bien, que cela ne t’inquiète plus ; viens me trouver, quand ton enfant naîtra, et je lui trouverai un parrain.
Huit jours plus tard, Malo alla trouver le roi, et lui dit :
— Il vient de me naître un sixième garçon, sire.
— Eh bien, répondit le roi, c’est moi qui serai son parrain.
Le baptême fut célébré solennellement, et l’enfant fut nommé Charles. Puis, il y eut un grand dîner, au palais du roi. Vers la fin du repas, le vieux jardinier, qui avait bu un peu plus que d’habitude, était gai et dit, en levant son verre plein :
— A votre santé, sire, et Dieu fasse la grâce à mon fils nouveau-né d’être uni un jour à la princesse votre fille.
Il y avait quelques jours seulement qu’une fille était aussi née au roi.
Le monarque fut mécontent du souhait de son jardinier, et il le renvoya.
Malo entra chez un grand seigneur.
Cependant, le roi ne tarda pas à regretter son vieux jardinier, et il lui demanda de revenir à la cour, comme précédemment.
Malo, qui regrettait également les beaux jardins où il avait passé toute sa vie, et les bonnes conversations avec son roi, revint volontiers. Le roi voulut se charger de l’éducation de Charles, et Malo y consentit facilement.
Le vieux monarque n’avait pas oublié les paroles imprudentes du jardinier, au dîner du baptême, et il voulait prendre ses précautions, de bonne heure, pour empêcher la réalisation du souhait qu’il avait exprimé.
Charles fut bientôt exposé sur la grande mer, dans un berceau de verre, et abandonné à la grâce de Dieu.
Le roi attendait son marchand de vin de Bordeaux, qui devait venir lui apporter du vin. Le marchand de Bordeaux rencontra en mer le berceau où avait été exposé Charles. Il recueillit l’enfant, admira sa beauté et résolut de l’amener à sa femme et de l’adopter. Dans sa joie et son empressement à le montrer à sa femme, il fit virer de bord son bâtiment et retourna immédiatement à Bordeaux.
Sa femme fut heureuse du cadeau que lui faisait son mari, car ils n’avaient pas d’enfants, quoique mariés depuis longtemps. Charles fut dès lors élevé et instruit comme s’il eût été le propre fils du marchand. On le baptisa de nouveau, dans la crainte qu’il ne l’eût pas été déjà, et le hasard voulut qu’on lui donnât encore le nom de Charles. On lui donna des maîtres de toute sorte, et il appelait le marchand et sa femme son père et sa mère, car on le laissa dans une ignorance complète de ses premières années.
Cependant le roi, plusieurs années plus tard, fit un voyage à Bordeaux. Quand il vit Charles, il admira sa bonne mine et demanda au marchand s’il était son enfant. Le marchand lui raconta comment, l’ayant trouvé en pleine mer, dans un berceau de verre, il l’avait recueilli et adopté comme son propre enfant. Alors le roi vit clairement que c’était l’enfant de son jardinier, celui-là même dont il avait voulu se débarrasser, et demanda au marchand de le lui céder, pour qu’il en fît plus tard son secrétaire. Le marchand céda l’enfant à son roi, mais à regret.
Le roi, qui ne devait pas retourner immédiatement à Paris, envoya Charles devant et lui donna une lettre pour la reine, dans laquelle il ordonnait à celle-ci de faire mettre à mort le porteur, dès qu’il arriverait. Il ajoutait qu’il reviendrait aussi, sans retard, mais qu’il fallait que son ordre fût mis à exécution, avant son arrivée.
Charles part avec la lettre, ne se doutant pas qu’elle contenait son arrêt de mort. Il loge dans un village, au bord de la route, et y mange avec trois inconnus, des maltôtiers.
Après souper, on joue aux cartes. Charles perd tout son argent et même sa montre. On se couche. Les trois maltôtiers étaient dans la même chambre, et Charles était dans un cabinet, à côté. Il n’y avait qu’une cloison de planches à les séparer, et il entendait leur conversation : — Le pauvre garçon ! dit l’un d’eux, il a perdu tout son argent ; comment pourra-t-il payer son écot et retourner jusque chez lui ? J’ai pitié de lui ; si nous lui rendions son argent ? — Oui, répondirent les deux autres ; rendons-lui son argent.
Et un des trois alla dans sa chambre pour lui remettre son argent. Il dormait profondément, car il était très fatigué de sa marche. Sur sa table de nuit, le maltôtier aperçut une lettre cachetée ; c’était celle que le roi lui avait donnée pour être remise à la reine. Poussé par la curiosité, il rompit le cachet, lut la lettre et fut bien étonné de ce qu’elle contenait.
— Le pauvre garçon ! pensa-t-il, il porte lui-même l’ordre de le faire mettre à mort, et il ne le sait pas !
Il montra la lettre à ses deux camarades, et ils lui substituèrent une autre lettre, qui recommandait à la reine de bien accueillir et bien traiter le porteur.
Le lendemain matin, quand Charles se leva, les maltôtiers étaient déjà partis. Il retrouva dans ses poches son argent et sa montre, et sa lettre était aussi sur sa table de nuit, où il l’avait posée. Il paya son hôte et se remit en route, sans que rien lui eût fait soupçonner une substitution de lettre. Il marche, il marche, et finit par arriver à Paris. Il va tout droit au palais royal et remet sa lettre à la reine. Celle-ci l’accueille on ne peut mieux, le fait manger à sa table et l’emmène avec elle et la princesse, sa fille, dans ses visites et ses promenades.
Le roi revint au bout d’un mois, et son étonnement fut grand et grande aussi sa colère de retrouver Charles dans la société de sa femme et de sa fille.
— Comment ! dit-il à la reine, vous n’avez donc pas fait ce que je vous recommandais, dans ma lettre ?
— Vraiment, si, répondit-elle ; voici votre lettre ; relisez-la.
Le roi lut la lettre que lui présenta la reine, et vit clairement qu’il avait été trahi, mais il ignorait par qui.
Charles fut alors envoyé à l’armée, comme simple soldat. C’était un soldat exemplaire. Il devint promptement officier, et, comme il se comportait vaillamment, dans toutes les rencontres, et contribuait plus que nul autre à la victoire, il parvint vite aux plus hauts grades, et on ne parlait que de lui, à l’armée et à la ville. La princesse s’éprit d’amour pour lui, et demanda à son père de le lui laisser épouser. — Jamais ! répondit le roi. Survint une grande guerre, et le roi de France était sur le point de perdre une bataille décisive, quand arriva Charles avec ses soldats. Aussitôt les choses changèrent de tournure, et les Français remportèrent une grande victoire, au lieu de la défaite désastreuse dont ils étaient menacés.
La princesse demanda de nouveau à son père de lui permettre d’épouser le jeune héros.
— Je le veux bien, répondit-il, cette fois, mais, à la condition qu’il m’apportera trois poils de la barbe d’or du Diable.1
— Et où irai-je chercher le Diable ? demanda Charles.
— En Enfer, parbleu ! Lui répondit la princesse.
— C’est facile à dire ; mais, par où aller en Enfer ?
Il se mit tout de même en route, à la grâce de Dieu.
Après avoir marché longtemps et traversé bien des pays, il arriva au pied d’une haute montagne, où il vit une vieille femme qui venait de puiser de l’eau à la fontaine, dans une barrique défoncée qu’elle portait sur la tête.
— Où allez-vous ainsi, l’homme ? Lui demanda la vieille ; ici, il ne vient pas de gens en vie. Je suis la mère du Diable.
— Eh bien, c’est alors votre fils que je cherche ; conduisez-moi jusqu’à lui, je vous prie.
— Mais, mon pauvre enfant, il te tuera ou t’avalera vivant, quand il te verra.
— Peut-être. Faites que je lui parle, et nous verrons après.
— Tu n’es pas peureux, à ce qu’il paraît ; mais, dis-moi ce que tu as à faire avec mon fils.
— Le roi de France m’a promis de me donner la main de sa fille, si je lui apporte trois poils de la barbe d’or du Diable, et je pense, grand’mère, que vous ne voudrez pas me faire manquer un si beau mariage pour trois poils de barbe.
— Eh bien, suis-moi, et nous verrons ; ta mine me plaît.
Et Charles suivit la vieille, qui le conduisit à un vieux château délabré et tout noir.
Aussitôt arrivée, elle se mit à faire des crêpes pour son fils, sur une poêle plus large qu’une meule de moulin. Bientôt, on entendit un vacarme effroyable.
— Voilà mon fils qui arrive, dit la vieille, cache-toi vite sous mon lit.
Charles se cacha sous le lit, et le fils de la vieille entra aussitôt en criant :
— J’ai grand’faim, mère, grand’faim !2
— Eh bien, mange, mon fils ; voilà de bonnes crêpes.
Et il se mit à manger des crêpes, qui disparaissaient comme dans un gouffre.
Quand il en eut ainsi englouti quelques douzaines, il s’interrompit un instant, et dit :
— Je sens ici odeur de chrétien, et il faut que j’en mange.
— Tu déraisonnes, mon fils, dit la vieille ; mange des crêpes et ne songe pas aux chrétiens ; tu sais bien qu’il n’en vient jamais ici.
Et il engloutit encore quelques douzaines de crêpes, puis il huma l’air et répéta :
— Je sens odeur de chrétien ici, et il faut que j’en mange.
— Laisse-moi donc tranquille avec les chrétiens, lui dit la vieille, et mange des crêpes ou va te coucher, si ton ventre est plein.
— Oui, bonne petite mère, dit-il, radouci, je suis fatigué et je vais me coucher.
Il se mit au lit, et, un instant après, il ronflait. La vieille s’approcha de lui et lui arracha un poil de sa barbe d’or. Il se gratta le menton, mais ne s’éveilla pas. Un moment après, la vieille lui arracha un second poil, puis un troisième. Il s’éveilla enfin et sauta hors du lit en disant :
— Je ne puis pas dormir dans ce lit, mère, il y a trop de puces ; je vais coucher à l’écurie.
— Vas à l’écurie, si tu veux, mon fils ; demain, je te mettrai des draps frais.
Et il sortit pour se rendre à l’écurie.
— Arrive ici, vite, à présent ! dit la vieille à Charles.
Et, lui présentant les trois poils qu’elle venait d’arracher au menton de son fils :
— Voici trois poils de la barbe d’or du Diable. Emporte-les vite, et vas épouser la fille du roi de France.
Charles prit les trois poils, remercia et partit promptement.
Quand il arriva au palais du roi de France, la reine et sa fille étaient à se promener dans le jardin. Il alla les y trouver, et, dès qu’elle l’aperçut, la princesse lui demanda :
— Et les trois poils d’or de la barbe du Diable ?
— Les voici, répondit-il en les montrant. La princesse courut le dire à son père. Quand le vieux roi vit les trois poils, il fut pris d’un tel accès de fureur, qu’il se planta lui-même son poignard dans le cœur et mourut aussitôt.
— Va-t’en au Diable ! dit Charles, en voyant cela.
Rien ne s’opposait plus au mariage de Charles avec la princesse.
Il écrivit au marchand de Bordeaux de se rendre promptement à Paris. Il vint, révéla tout, et l’on sut alors que Charles était le fils du vieux jardinier du palais et le filleul du roi. On constata aussi l’accomplissement du souhait du vieux jardinier, lorsqu’il avait dit, en portant la santé du roi, au dîner du baptême : A votre santé, sire, et Dieu veuille que votre fille et mort fils soient unis, un jour.
Le mariage fut célébré, et il y eut de belles noces, avec des festins, des danses et des jeux de toutes sortes, pendant quinze jours.
J’étais là cuisinière ; j’eus un morceau avec une goutte, un coup de cuillère à pot sur la bouche, et, depuis, je n’y suis pas retournée. Mais, avec cinq écus et un cheval bleu, j’y serais encore allée ; avec cinq écus et un cheval brun, j’y serais allée demain en huit.3
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Jusqu’ici, notre conte appartient à un autre type que celui des Voyages vers le Soleil, et tout ce commencement doit être une interpolation de ma conteuse. ↩
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Dans tous les contes populaires où Von représente le Soleil rentrant de sa tournée journalière, il commence par demander à manger. Il est évident que le Diable a été substitué ici au Soleil. ↩
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Voici cette formule finale rimée en breton :
Me oa eno kegineres,
Em boa eun tamm hag eur bannec’h,
Eun tol klogle war ma geno,
Hag a-boë n’oun ket bet eno.
Met gant pemp scoed hag eur marc’h glaz
‘Vizenn êt da welet, ware’hoaz ;
Pe gant pemp scoëd hag eur marc’h brun,
‘Vizenn êt warc’hoaz ar pen-zunn. ↩