La princesse de Tronkolaine
Kement-man oa d’ann amzer
Ma ho devoa dennt ar ier.
Ceci se passait du temps
Où les poules avaient des dents.
Il y avait, une fois, un vieux charbonnier qui avait fait faire vingt-cinq baptêmes. Il ne trouvait plus de parrain pour le vingt-sixième enfant qui venait de lui naître. Il trouvait bien une marraine. Comme il allait à la recherche d’un parrain, il rencontra un beau carrosse, dans lequel il y avait un roi. Il s’agenouilla sur la route, son chapeau à la main. Le roi, en le voyant, descendit de son carrosse et lui donna une pièce de deux écus.
— Sauf votre grâce, sire, lui dit le charbonnier, ce n’est pas l’aumône que je cherche, mais bien un parrain pour mon dernier enfant, qui vient de naître, et je n’en trouve point.
— Pourquoi donc cela ? demanda le roi.
— C’est que, sire, j’ai déjà fait faire vingt-cinq baptêmes, et tous mes voisins ont été compères chez moi. Je trouve bien une marraine.
— Eh bien ! reprit le roi, retournez chez vous ; venez à l’église avec l’enfant et la marraine, et je serai le parrain, moi.
Et le vieux charbonnier s’en retourna à sa hutte, tout joyeux. On avertit la marraine, et ils se rendirent à l’église avec l’enfant. Le roi y était déjà à les attendre.
Quand le baptême fut terminé, le parrain donna mille écus au père pour élever son filleul et l’envoyer à l’école. Il lui donna encore une moitié de platine pour remettre à l’enfant, qui la lui rapporterait quand il aurait atteint l’âge de dix-huit ans. Puis il partit.
L’enfant avait été nommé Charles.
A l’âge de sept ou huit ans, on envoya Charles à l’école, et il apprenait tout ce qu’il voulait. Parvenu à l’âge de dix-huit ans, son père lui remit la moitié de platine et lui dit d’aller voir son parrain, le roi de France, à sa cour, à Paris. Le jeune homme partit, monté sur un beau cheval, et ayant dans sa poche sa moitié de platine. Il avait vraiment bonne mine. Il rencontra, dans un chemin creux et étroit, une petite vieille femme, qui lui dit qu’un peu plus loin il verrait, auprès d’une fontaine, un individu qui l’inviterait à boire ; — « mais, poursuivez votre route, mon fils, et ne buvez pas, quelque insistance qu’il y mette. »
— C’est bien, grand’mère, je ne boirai pas de l’eau de la fontaine, dit Charles.
Quand il arriva à la fontaine, il vit l’individu assis à l’ombre, comme un voyageur qui se repose un instant, et il lui dit :
— Jeune homme, venez boire un peu d’eau.
— Merci ! Je n’ai pas soif, répondit-il.
— Venez boire une goutte seulement, vous n’avez jamais bu d’aussi bonne eau.
Il insista tant, qu’il s’approcha pour goûter l’eau de la fontaine. Mais, s’étant mis à genoux, pour boire à môme le bassin, l’inconnu lui prit sa moitié de platine dans sa poche, sauta sur son cheval et partit au galop. Charles courut après lui ; mais, hélas ! il ne put l’atteindre, et bientôt il perdit de vue l’homme et le cheval.
— Hélas ! se dit-il, je n’ai pas obéi au conseil de la vieille femme. Que faire, maintenant ? N’importe ! j’irai à pied ; tôt ou tard, j’arriverai aussi à Paris, et alors nous verrons.
Et il se remit en route.
Quand l’homme de la fontaine, le voleur, arriva à Paris, il demanda aussitôt à parler au roi, et lui présenta sa moitié de platine. On rapprocha les deux moitiés, et l’on trouva qu’elles se ressemblaient et s’ajustaient parfaitement ; si bien que le drôle fut le bienvenu auprès du roi, qui le prenait pour son filleul, et il n’avait rien à faire tous les jours que manger, boire, faire bonne chère et se promener.
Quelque temps après, Charles arriva aussi. On le prit au palais comme pâtre. Le faux filleul, voyant cela, eut peur, et chercha les moyens de se défaire de lui et de le perdre. Il dit un jour au roi :
— Si vous saviez, mon parrain, ce que le gardeur de moutons a dit ?
— Qu’a-t-il dit ? demanda le roi.
— Ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il était homme à aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève.
— Bah ! ce n’est pas possible, à moins qu’il n’ait perdu la tête.
— Il l’a dit, sur ma foi, mon parrain, et je pense qu’il serait bon de l’y envoyer.
On appela le gardeur de moutons auprès du roi.
— Comment ! jeune pâtre, vous avez dit que vous êtes homme à aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin ?
— Moi, mon roi ? Comment aurais-je pu dire pareille chose ?
— Vous l’avez dit, car mon filleul me l’a assuré ; il faut que vous accomplissiez ce dont vous vous êtes vanté, sinon il n’y a que la mort pour vous. Vous partirez demain matin.
Voilà le pauvre Charles bien embarrassé, je vous prie de le croire. Il ne dormit goutte de toute la nuit.
Le lendemain matin, avant de se mettre en route, il fit le signe de la croix, et dit : « À la grâce de Dieu ! »
Il se dirigea vers le levant. Il n’était pas allé loin encore qu’il rencontra un vieillard à barbe blanche, qui lui dit :
— Où allez-vous comme cela, mon fils, et pourquoi êtes-vous si triste ?
— Ma foi, grand-père, où je vais, je ne le sais guère ; et, si je suis triste, ce n’est pas sans motif. Le roi m’a ordonné d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin.
— Eh bien ! mon garçon, faites exactement comme je vous dirai, et vous pourrez réussir. Voici un cheval de bois ; montez dessus, et il vous portera au pays où le Soleil se lève. Vous arriverez au pied d’une montagne très haute ; vous descendrez alors, vous laisserez votre cheval au pied de la montagne et vous monterez jusqu’au sommet. Là, vous verrez un beau château. C’est le château du Soleil. Vous n’aurez qu’à entrer et faire votre commission.
— Merci, grand-père.
Charles monta sur le cheval de bois, qui s’éleva avec lui en l’air, et ils se trouvèrent bientôt au pied de la haute montagne. Charles la gravit seul jusqu’au sommet. Il aperçut alors le palais du Soleil, y entra sans obstacle et demanda :
— Le Soleil est-il à la maison ?
— Non, lui répondit une vieille femme, qui se trouvait là, — sa mère, sans doute ; — que lui voulez-vous ?
— J’ai besoin de lui parler, grand’mère.
— Eh bien ! si vous voulez attendre un peu, il arrivera sans tarder. Mais, mon pauvre enfant, mon fils aura grand’faim, quand il arrivera, et il voudra vous manger. Restez tout de même, car votre mine me plaît, et je l’empêcherai de vous faire du mal.
Bientôt après arriva le Soleil, en criant :
— J’ai faim ! j’ai grand’faim ! ma mère.
— C’est bien, asseyez-vous là, mon fils, et je vais vous donner à manger, lui dit la vieille.
— Je sens l’odeur de chrétien, mère, et il faut que je le mange ! s’écria le Soleil, un instant après.
— Eh bien ! par exemple, si vous croyez que je vais vous laisser manger cet enfant, vous vous trompez joliment ! Voyez quel charmant garçon !
— Qu’es-tu venu faire ici ? demanda le Soleil à Charles.
— On m’a commandé, Monseigneur le Soleil, de venir vous demander pourquoi vous êtes si rouge, le matin, quand vous vous levez.
— Eh bien ! je ne te ferai pas de mal, car ta mine me plaît, et je t’apprendrai même ce que tu désires savoir. La Princesse de Tronkolaine demeure là, dans un château voisin du mien, et il me faut, tous les matins, me montrer dans toute ma splendeur, quand je passe au-dessus de sa demeure, pour n’être pas vaincu par elle en beauté.
Le lendemain, le Soleil se leva de bon matin et commença sa tournée, comme d’habitude, et Charles partit aussitôt que lui. Descendu de la montagne, il retrouva son cheval de bois qui l’attendait. Il monta dessus et fut ramené en peu de temps à l’endroit où il avait rencontré le vieillard. Il était encore là qui l’attendait.
— Eh bien ! mon fils, lui dit-il, avez-vous réussi dans votre entreprise ?
— Oui, vraiment, grand-père, répondit Charles, et la bénédiction de Dieu soit sur vous !
— C’est bien ; quand vous aurez encore besoin de moi, appelez-moi et vous me reverrez.
Et aussitôt, il disparut, il ne sut comment.
Quand Charles revint au palais du roi, tout le monde était étonné de voir comme il était content et joyeux.
— Eh bien ! lui dit le roi, me diras-tu à présent pourquoi le Soleil est si rouge, le matin, quand il se lève ?
— Oui, sire, je vous le dirai.
— Et pourquoi donc ?
— C’est que, non loin du château du Soleil, se trouve celui de la Princesse de Tronkolaine, et il lui faut paraître, chaque matin, dans toute sa splendeur, quand il passe au-dessus du château, pour n’être pas éclipsé par elle.
— C’est bien, répondit le roi. Et il le renvoya à ses moutons.
Peu de temps après, le faux filleul dit encore au roi :
— Si vous saviez, parrain, ce que le gardeur de moutons a dit ?
— Et qu’a-t-il donc dit encore ?
— Ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il est homme à vous amener ici la Princesse de Tronkolaine, pour que vous l’épousiez.
— Vraiment ? Dites-lui de venir me trouver, tout de suite.
Le pauvre Charles se rendit auprès du roi, fort inquiet.
— Comment ! jeune pâtre, vous avez dit être capable de m’amener ici la Princesse de Tronkolaine, pour être ma femme ?
— Comment aurais-je pu dire pareille chose, sire ? Il faudrait que j’eusse complètement perdu l’esprit pour parler ainsi.
— Vous vous en êtes vanté, et il faut que vous le fassiez, sinon il n’y a que la mort pour vous.
Le lendemain matin Charles se remit en route, triste et soucieux. « Si je rencontrais encore le vieillard de l’autre fois ! » se disait-il en lui-même. A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il aperçut le vieillard qui venait à lui.
— Bonjour, mon fils, lui dit-il.
— A vous pareillement, grand-père.
— Où allez-vous ainsi, mon enfant ?
— Ma foi, grand-père, je n’en sais trop rien. Le roi m’a encore ordonné de lui amener à sa cour la Princesse de Tronkolaine, et je ne sais comment m’y prendre.
— C’est bien, mon garçon. Prenez d’abord cette baguette blanche. Retournez vers le roi, et dites-lui qu’il vous faut trois bateaux, dont un chargé de gruau, un autre de lard et le troisième, de viande salée. Le gruau sera pour le roi des fourmis, que vous trouverez dans une île, au milieu de la mer. Quand vous arriverez dans cette île, vous demanderez : — « N’est-ce pas ici que demeure le roi des fourmis ? — Si, vous dira-t-on.
— Eh bien, voici un cadeau que j’ai pour lui, » ajouterez-vous, en montrant le bateau chargé de gruau. Alors, arriveront toutes les fourmis de l’île, et, en un instant, elles videront le bateau.
— « Ma bénédiction soit avec toi ! vous dira alors le roi des fourmis, et si jamais tu as besoin de nous, appelle le roi des fourmis, et il arrivera aussitôt. » — Plus loin, vous trouverez une autre île, où demeure le roi des lions. Vous demanderez encore, en arrivant : — « N’est-ce pas ici que demeure le roi des lions ? — Si, vous sera-t-il répondu, c’est ici. » Et vous ajouterez : — « C’est que voici un cadeau que j’ai pour lui ; » — et vous montrerez le bateau chargé de lard. Alors, vous verrez arriver des lions, de tous les côtés de l’île, et, en un instant, le bateau sera vidé. Le roi des lions vous dira aussi : — « Ma bénédiction soit avec toi ! Si jamais tu as besoin de moi, tu n’auras qu’à appeler le roi des lions, et j’arriverai aussitôt. » — Enfin, vous arriverez ensuite dans une troisième île, où demeure le roi des éperviers. En y abordant, vous demanderez : — « N’est-ce pas ici que demeure le roi des éperviers ? — Si, vous sera-t-il répondu, c’est ici. — C’est bien, ajouterez-vous, voici un cadeau que j’ai pour lui. » — Et vous montrerez le bateau chargé de viande salée. Aussitôt, arrivera le roi des éperviers, accompagné de ses sujets, et, en un instant, le bateau sera vidé. — « Ma bénédiction soit avec toi ! dira aussi le roi des éperviers, et si tu as jamais besoin de moi, tu n’auras qu’à appeler le roi des éperviers, et aussitôt j’arriverai. » — Le roi, votre parrain, vous fournira les trois bateaux chargés de gruau, de lard et de viande. Avant de vous embarquer, faites une croix avec votre baguette blanche sur le sable du rivage, et aussitôt soufflera un vent favorable pour vous conduire à votre destination. Prenez bien garde à faire tout exactement comme je vous ai dit, et vous réussirez.
— Merci, et ma bénédiction soit avec vous, grand-père, dit Charles.
Et il partit.
Voilà Charles en mer, avec ses trois bateaux. Il arrive dans la première île, où demeure le roi des fourmis, et il demande :
— N’est-ce pas ici que demeure le roi des fourmis ?
— Si, c’est ici, lui répond-on.
— Eh bien, voici un cadeau que j’ai pour lui ; allez lui dire, je vous prie, de venir le recevoir.
On avertit le roi des fourmis, et il vint aussitôt, accompagné d’une infinité de fourmis.
En un instant, le bateau fut vidé, et le roi dit alors :
— Ma bénédiction sur toi, Charles, filleul du roi de France. Tu nous as sauvés ; car la famine désolait mon royaume, et nous allions tous mourir de faim. Si jamais tu as besoin de moi et de mes sujets, tu n’auras qu’à appeler le roi des fourmis, et j’arriverai aussitôt.
Charles continua sa route, et, pour abréger, il arriva dans l’île où demeurait le roi des lions, puis dans celle où demeurait le roi des éperviers ; il fit exactement comme lui avait recommandé le vieillard, et tous lui promirent aide et protection, au besoin. Avant de s’éloigner de l’île des éperviers, il demanda à leur roi :
— Suis-je encore loin du palais de la Princesse de Tronkolaine ?
— Vous avez encore un bon bout de chemin à faire, lui répondit-on ; mais, vous y arriverez sans mal. Quand vous arriverez, vous verrez la princesse auprès d’une fontaine, occupée à peigner ses cheveux blonds, avec un peigne d’or et un démêloir d’ivoire. Prenez bien garde d’être aperçu d’elle, avant que vous l’ayez vue, car elle vous enchanterait. Elle sera sous un oranger, qui est au-dessus de la fontaine. Allez doucement, doucement, grimpez sur l’arbre, cueillez une orange et jetez-la vite dans la fontaine. Alors la. Princesse lèvera la tête, vous sourira, puis vous invitera à descendre et à l’accompagner jusqu’à son château. Vous pourrez la suivre sans crainte.
— Merci, dit Charles au roi des éperviers. Et il continua sa route.
Il arriva sans tarder au pied du château, — un château magnifique. Il vit la Princesse auprès de la fontaine, occupée à peigner ses cheveux blonds avec un peigne d’or et un démêloir d’ivoire, sous un oranger ; il grimpa sur l’arbre, sans être aperçu d’elle, cueillit une orange et la jeta dans le bassin de la fontaine. Aussitôt, la princesse leva la tête, et, voyant Charles sur l’arbre :
— Ah ! dit-elle, Charles, filleul du Roi de France, c’est donc toi qui es là ! Sois le bienvenu. Descends et accompagne-moi dans mon château. Je ne te veux point de mal ; bien au contraire.
Charles la suivit jusqu’à son château. Jamais ses yeux n’avaient rien vu d’aussi beau.
Il y avait quinze jours qu’il était là, au milieu des plaisirs de toutes sortes, quand il demanda, un jour, à la Princesse si elle consentirait à l’accompagner jusqu’au palais du roi de France ?
— Volontiers, répondit-elle, si vous accomplissez trois travaux que je vous désignerai.
— J’essayerai toujours, dit-il.
Le lendemain matin, la Princesse le conduisit dans un grenier, devant un grand tas de graines de toutes sortes. Il y avait là des graines de lin, de trèfle, de chanvre, de navet et de chou, mêlées ensemble. Elle lui dit qu’avant le coucher du soleil, il fallait qu’il eût réuni toutes les graines de même nature dans un même tas, sans qu’il y eût une graine de nature différente dans aucun des tas. Puis elle s’en alla.
Le pauvre Charles, resté seul, se mit à pleurer, parce qu’il ne croyait pas qu’il fût possible à personne au monde d’accomplir un pareil travail. Il se rappela alors le roi des fourmis. Il m’avait dit, se dit-il à lui-même, que, si jamais j’avais besoin de lui et des siens, je n’aurais qu’à les appeler, et ils viendraient à mon secours. Il me semble que j’ai assez besoin d’eux, en ce moment. Voyons donc s’il disait vrai :
— Roi des fourmis, viens à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et aussitôt le roi des fourmis arriva.
— Qu’y a-t-il pour votre service, demanda-t-il, Charles, filleul du roi de France ?
Charles lui fit part de son embarras.
— S’il n’y a que cela, soyez sans inquiétude, ce sera vite fait.
Le roi appela alors ses sujets, et aussitôt il arriva tant de fourmis, de tous côtés, que toute l’aire du grenier en était couverte. Il leur expliqua ce qu’il y avait à faire. Et les voilà toutes au travail. Quand ce fut fini, le roi des fourmis dit à Charles :
— C’est fait.
Charles le remercia, et il partit avec toutes ses fourmis.
Au coucher du soleil, quand vint la Princesse, elle trouva Charles assis et l’attendant tranquillement.
— Le travail est-il fait ? demanda-t-elle.
— Oui, princesse, c’est fait, répondit Charles tranquillement.
— Voyons cela.
Et elle examina tous les tas. Elle prenait une poignée de chacun et l’examinait de près. Elle ne trouva en aucun tas une graine dissemblable et qui ne fût pas à sa place. Elle en était tout étonnée.
— C’est bien travaillé, dit-elle ; allons à présent souper.
Le lendemain matin, elle commanda à Charles d’abattre toute une longue avenue de grands chênes, et elle lui donna pour outils une hache de bois, une scie de bois et des coins de bois. Tous les arbres devaient être à terre pour le coucher du soleil, le même jour.
Voilà encore notre homme bien embarrassé.
— A moins que le roi des lions ne vienne à mon secours, se dit-il, je ne me tirerai jamais d’affaire, cette fois. Et il appela le roi des lions.
— Roi des Lions, venez à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et le roi des lions arriva aussitôt.
— Qu’y a-t-il pour votre service, Charles, filleul du roi de France ? demanda-t-il.
Charles lui conta son embarras.
— N’est-ce que cela ? Soyez sans inquiétude alors, ce ne sera pas long à faire.
Le roi poussa un rugissement terrible, et aussitôt il arriva des lions plein l’avenue.
— Allons ! mes enfants, leur dit le roi, déracinez et mettez-moi en pièces tous ces arbres, et vite !
Et les voilà aussitôt de se mettre à l’ouvrage, et de travailler, chacun de son mieux. Tout était encore terminé, avant le coucher du soleil.
Quand vint la Princesse, elle fut étonnée de voir tous les chênes déracinés et mis en morceaux, et Charles qui dormait ou feignait de dormir, étendu- sur le dos.
— Ah ! voici, par exemple, un homme ! se dit-elle.
Elle s’approcha de Charles, tout doucement, sur la pointe des pieds, et lui donna deux baisers. Charles se réveilla.
— Le travail est fait, à ce que je vois, lui dit la Princesse.
— Oui, Princesse, le travail est fait.
— C’est bien. Allons souper, car vous devez avoir faim.
Le lendemain matin, on lui dit d’aller abattre et niveler une grande montagne, beaucoup plus haute que la montagne de Bré. On lui donna une brouette et une pelle de bois, et le travail devait être terminé avant le coucher du soleil.
Arrivé au pied de la montagne, Charles restait là à la regarder, et il se disait en lui-même :
— Comment faire cela ? Je n’en viendrai jamais à bout. Mais, le roi des éperviers n’a pas encore travaillé pour moi. Il faut que je l’appelle ; je n’ai d’autre espoir qu’en lui.
— Roi des éperviers, venez à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et aussitôt le roi des éperviers descendit auprès de lui.
— Qu’y a-t-il pour votre service, Charles, filleul du roi de France ? demanda-t-il.
— La Princesse de Tronkolaine m’a dit qu’il faudra abattre et niveler cette haute montagne, avant le coucher du soleil, et, si vous ne me venez en aide, je ne sais vraiment pas comment en venir à bout.
— Si ce n’est que cela, soyez sans inquiétude ; cela sera fait, avant le coucher du soleil.
Alors, le roi des éperviers poussa un cri effrayant, et aussitôt les éperviers arrivèrent, et en si grand nombre, que la lumière du soleil en était obscurcie.
— Qu’y a-t-il à faire, notre roi ? demandèrent-ils.
— Transporter cette montagne de là, de manière qu’à sa place il se trouve une plaine unie ; et vite, vite, mes enfants !
Et les voilà de déchirer la montagne avec leurs griffes, et de transporter la terre dans la mer. Si bien que le travail était encore terminé, longtemps avant le coucher du soleil, et personne n’eût dit qu’il y avait une montagne là, le matin.
Quand la Princesse vint, au coucher du soleil, elle trouva Charles qui dormait, sous un arbre, et elle lui donna encore deux baisers. Il se réveilla aussitôt, et dit :
— Eh bien ! Princesse, le travail est accompli ; voyez, il n’y a plus de montagne. Maintenant, j’espère que vous viendrez avec moi au palais du roi de France ?
— De tout mon cœur, répondit-elle, et partons tout de suite.
Et ils se dirigèrent du côté de la mer. Les bateaux de Charles se trouvaient encore là. Ils s’embarquèrent dessus, et arrivèrent sans encombre en France. Sur la route, ils visitèrent le vieillard, qui dit à Charles :
— Eh bien, mon fils, avez-vous réussi ?
— Oui, grand-père, et la bénédiction de Dieu soit avec vous !
— C’est bien. Allez, à présent, trouver votre parrain ; vos épreuves et vos peines sont terminées et vous n’aurez plus besoin de moi.
Quand Charles arriva au palais du roi, accompagné de la Princesse de Tronkolaine, tout le monde fut étonné de voir comme elle était belle. Le vieux roi en perdit la tête, et voulut se marier avec elle, tout de suite, quoique la reine sa femme ne fût pas encore morte.
— Non, lui dit la Princesse, je ne suis pas venue ici pour vous épouser, pas plus que le diable qui est ici avec vous.
— Un diable ici ! où donc est-il ? s’écria le roi.
— Celui que vous prenez pour votre filleul est un diable, et voici votre véritable filleul, dit-elle en montrant Charles ; celui-ci a eu tout le mal, et c’est à lui qu’est due la récompense, et il sera mon époux.
— Mais comment renvoyer le diable ? demanda le roi.
— Cherchez d’abord une jeune femme nouvellement mariée, et portant son premier enfant. Quand vous l’aurez trouvée, faites chauffer un four à blanc, et jetez-y le diable. Il se démènera et hurlera de rage, et fera son possible pour sortir du four ; mais, la jeune femme l’y maintiendra en lui montrant son anneau de mariage.
On trouva une jeune femme portant son premier enfant ; on chauffa un four à blanc, puis on y jeta le diable. Celui-ci se démenait et poussait des cris épouvantables, et tout le palais en tremblait. Mais, quand il essayait de sortir du feu, la jeune femme lui présentait son anneau à la gueule du four et le faisait reculer. Si bien qu’il dit alors :
— Si j’étais resté ici, une année encore, j’aurais réduit le royaume à un état désespéré.
Mais, il lui fallut crever là.
Alors, Charles fut marié à la Princesse de Tronkolaine. Le vieux charbonnier, sa femme et tous ses enfants furent aussi de la noce. — C’est là qu’il y eut un festin, alors ! Et un tintamarre et un vacarme et des bombances éternelles ! Les cloches sonnant à toute volée, la grande bannière sur pied, et les violons devant ! 1
-
Ce conte, dans sa seconde partie, se rattache au type de la recherche de la Princesse aux cheveux d’or. ↩